« Nee, Maria-chan ! Tu viens à la plage avec nous ? On va faire un piquenique et prendre un bain de minuit ! »
« Ah… non, merci c’est gentil. Je vais rester réviser un peu. »

Non, je ne suis pas drôle les filles. Je ne veux pas sortir, ni aller m’amuser. Je ne veux pas me baigner. Ma peau est blanche comme un cachet, j’ai faim et une migraine à m’en frapper la tête contre les murs. Seulement, j’ai foiré deux tests depuis le début du semestre, si j’en rate un de plus, je me pends au plafonnier de ma chambre. Souris, il fait beau, c’est l’été. Mais nous, l’été au Japon on travaille. On a cinq pauvres semaines de vacances et basta. Les filles, mes dites amies, haussent les épaules, me saluent plus que vaguement et quittent la salle. Ce n’est pas bien grave. De toute façon à part pour surfer ou nager, je déteste ça. Elles, je les connais, elles vont passer toute la fin de l’après-midi à bronzer sur la serviette en attendant que le soleil disparaisse. Et une fois qu’il n’y aura plus de soleil, elles se rhabilleront, iront acheter à manger au combini, et reviendront s’installer. Elles ne mettront plus un seul bout d’orteil dans l’eau. Et je serais là comme une idiote à nager toute seule dans une eau à… aller, vingt degrés au maximum parce que je ne suis pas une chochotte, moi messieurs dames. Une fois la salle vidée de toute présence humaine, je me lève enfin. Plus envie de réviser. L’étui de ma guitare à l’épaule, je sais où aller.

A dix-neuf heures et des poussières, beaucoup d’élèves terminent les cours à l’université pour se rendre aux cours du soir. Je devrais. Normalement. Mes parents m’ont inscrite au début de l’année mais en réalité, je n’ai jamais réussi à trouver le courage d’y aller. Franchement travailler encore deux heures pour le même résultat puisque je dois être la seule étudiante incapable de retenir le strict nécessaire. Aller souris, merde. PAN. Il a fallu que ce con passe exactement au même endroit que moi. Et qu’est-ce qu’il regardait, ce grand dadet ? Sa copine. C’est stupide. Parfois, je me demande comment les couples d’adolescents font pour rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensembles. Si j’avais un copain ici, et qu’on se voyait tous les jours, non-stop, je finirais par le tuer. Sérieusement. Bon je n’ai pas pensé à ça durant ce weekend seule avec Renji mais ce n’est pas pareil. Quoique si on se marie… quand on se mariera, plutôt, on sera presque tout le temps ensemble. Sauf qu’il aura son travail. BAM. Maintenant c’est la porte qui me frappe. Super. J’avais déjà mal à la tête, maintenant, j’ai mal au nez. Quelques rires résonnent derrière moi. Ce n’est pas grave. Ignore-les, ce ne sont que des idiots. Mon pauvre nez. Dans la salle destinée aux cours de théâtre, il n’y a plus personne. Etrange car à cette heure-là, elle est toujours bondée de monde, d’élèves désirant revoir certains exercices. Tant mieux, je ne vais pas m’en plaindre au moins j’aurais la paix.

La guitare n’est vraiment pas mon fort pour l’instant. Il n’y a qu’ici que je puisse bosser. Impossible dans la chambre avec Min Hee. Soit je la dérange, soit elle me dérange. Il règne un silence mortel. J’en ai des frissons. En m’installant, j’ai l’impression que si je ressors, l’université sera devenue un établissement fantôme. Je serais seule et tranquille jusqu’au matin et peut-être que je pourrais même explorer des endroits cachés. Mais non. Je me contente de m’assoir sur une chaise et sortir mon téléphone. Je sais sur quelle musique m’entraîner. Une chanson que m’a fait découvrir Ren il y a quelques semaines et dont je suis immédiatement tombée amoureuse. En plus elle porte mon nom et évoque la plus belle comédie musicale du monde. Je me souviens qu’en dernière année de lycée, notre classe a donné un spectacle de danse et de chant sur ces chansons. C’était la première fois que je dansais et je dois dire qu’après neuf mois de cours intensifs avec les danseuses de la classe, je ne me trouvais pas mauvaise. Quoiqu’il en soit, c’est sur cette chanson que je m’entraîne depuis qu’il me l’a fait découvrir. A chaque fois, elle me fait penser à lui et quand ça fait – et je n’ai pas honte de le dire – deux jours qu’on ne s’est ni vus ni parlés, il me manque déjà atrocement.

J’ai encore du mal à jouer sans regarder les touches. C’est ridicule et c’est pour cette raison que je n’aime pas jouer devant quelqu’un. Sauf devant Ren, à nouveau. La gêne disparaît complètement. Cet homme est un miracle. Mon miracle. Et sa vipère d’ex-femme insatisfaite peut toujours essayer de nous pourrir la vie, viendra le jour où je vais vraiment m’énerver et lui dire que je ne suis pas la nounou de son fils mais bien sa mère, la vraie, la spirituelle parce qu’on ne peut pas dire qu’elle soit vraiment présente ! Bon d’accord, je mens, elle l’a toute la semaine et s’occupe de lui du mieux qu’une mère puisse le faire. Elle est belle, calme, vraiment. Si Renji ne l’avait pas trompée, ils seraient toujours ensemble. Plus que me faire également tromper, c’est ça qui me fait peur. Et si, dans un futur plus ou moins proche, elle revenait ? Quand j’y pense j’ai envie de pleurer, mais ça non plus je ne peux pas lui dire. Il me dirait que ça ne sera jamais le cas. Je le connais bien mon Ren, seulement cette pensée me hante alors que je devrais lui faire confiance. Je n’arrive plus à jouer, mes mains tremblent trop. J’y vois flou, les larmes me bouchent la vue. C’est ridicule de pleurer pour ça. En plus je me fais peur toute seule alors que j’ai confiance en lui. Si ça ne tenait qu’à lui, ça n’arriverait pas, mais qui sait de quoi Ayame est capable si elle veut le récupérer.

Quand mon téléphone se met à sonner, j’ai les coudes posés sur le flanc de la guitare et le visage dans les mains. Je me redresse, clignant des yeux pour refouler les larmes. Ce n’est que Hiroki. Longtemps que je ne l’ai pas vu, ce petit bonhomme. Je le rappellerai, mais pas maintenant. Demain. Machinalement, je verrouille le téléphone et le laisse glisser dans mon sac. Finalement, ce message m’a coupée et je n’ai plus envie de pleurer. En fait si, toujours mais plus autant qu’avant. Comme un perchiste coupé dans son élan. Tant mieux. Je frotte mes yeux pour essuyer les petites larmes qui avaient débordé et me remets à jouer. Au début, j’ai un peu de mal mais je finis par réussir à jouer tout en fredonnant les paroles.

« Maria Mariaaaa she reminds me of a west side story~ »

Je rate un accord. Je n’ai pas besoin de perroquet, merci. Franchement, qui ça peut bien être à cette heure ? Je me retourne, cessant immédiatement de jouer. Ah. Hiroki. Il devait être juste à côté pour être arrivé si vite. Malgré une humeur, je dois bien l’avouer, loin d’être au beau fixe, il arrive à me faire sourire et tandis qu’il continue de chanter sa parodie personnelle de la chanson, je finis par me mettre à rire. Mes yeux doivent être encore un peu rouges car ils brûlent, mais ce n’est plus important. Quand enfin il clos la chanson par un final dans une langue extra-terrestre, je me lève et cours vers lui, sautant de la scène comme si c’était une marche de vingt centimètres.

« Jack ! Gomen ne. Comme tu le vois, j’étais censée m’entraîner. Mais bon maintenant que tu es là… Tu viens me sauver d’une nouvelle tentative de suicide ? »

On ne rit pas de ces choses-là, je sais, mais la première fois qu’il m’a vue, j’étais penchée dans le vide par-dessus un balcon à me faire monter l’adrénaline en regardant tout en bas. On a l’impression de tomber comme ça. Pas très malin, j’en conviens. Mais lui, il n’a pas marché, il a couru et a tenté de me dissuader de sauter. Tout de suite, il m’a fait penser à Jack du célèbre Titanic que lui seul ne connait pas. Il faut toujours qu’on se trouve un soir pour le regarder tous les deux. Quoiqu’il en soit à présent, j’ai pris l’habitude de le surnommer Jack.

« Parce que si c’est le cas, tu tombes mal, y’a pas de balcon, à part la hauteur de la scène. Je plaisante. Alors comme ça tu t’ennuies ? »

Hiroki – de son surnom Jack – ne répond pas à ma première question. Une question un peu bête, je dois l’avouer, mais c’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de lui resservir cette vieille blague une fois de temps en temps. Moi, faire une tentative de suicide ? Peut-être une tentative de meurtre sur quelqu’un si je suis énervée, mais pas un suicide. Je ne suis pas désespérée à ce point. C’est pour cela que son sauvetage improvisé m’est resté en mémoire. En plus, regardez-le. Non mais regardez-le vraiment. Il est pas trop beau ? Il ressemble à une sorte de petite peluche qu’on a tout le temps envie d’avoir dans les bras. Quand il sourit, c’est juste bon à vous faire fondre. Et une fois dans ses bras, on a l’impression que s’il vous serre trop fort, il va vous étouffer. Je veux y rester, justement, dans ses bras. Seulement, il ne semble pas être de cet avis-là car non seulement il élude ma question mais en plus, il m’attrape par les épaules et m’écarte de lui. Il veut me faire pleurer ou quoi ? Je ne comprendrais jamais cette obsession des japonais pour les étreintes. Comme si c’était interdit, un crime. J’ai eu beau grandir au Japon, maman a dû me communiquer son esprit américain. Franchement, ils devraient plus s’ouvrir. C’est très désagréable d’être systématiquement repoussée par ses amis à qui on veut faire des câlins. Heureusement, j’ai au moins mon Ren qui ne dit jamais non.

Non seulement il ne répond pas à la première mais il évite aussi ma deuxième question. Qu’est-ce qui lui prend aujourd’hui ? Quelle mouche l’a piqué ? Si c’est bien une mouche. Comme si ça n’était pas suffisant, il me scrute. Vraiment. J’en viendrais presque à lui proposer une loupe, franchement. Il me fixe dans les yeux, sans ciller, et je tente de faire de même mais à mon grand damne, je baisse les yeux en premier. Il n’a pas l’air satisfait, vu la manière dont il fronce les sourcils et j’ai l’impression qu’il va me gronder comme une petite fille de sept ans.

« Ma~ T'es sure que ça va ? »

Ma. Mon surnom. Surnom plutôt original quand on sait que la plupart du temps, on m’appelle Maria-chan, ou Mari. Ma, on dirait le nom d’une vieille chinoise qui tient une boutique sur Chinatown, à New York. C’est à ça que ça me fait penser. Je lui demanderais un jour si c’est tout ce que je lui inspire. Alors c’est ça qu’il a vu, mes yeux rouges. Quelle idiote de pleurer à l’université, aussi. La prochaine fois j’attendrais d’être dans ma chambre. Avec ma peluche de serpent dans les bras. Là éventuellement, les larmes pourront couler. Je me contente de secouer la tête mais à peine le mouvement commencé que deux doigts attrapent ma joue et la tirent doucement. Ce n’est pas grave s’il ne sait pas en fait. Mieux vaut qu’il ne sache pas. Il me contourne et se dirige vers la table où ma guitare est posée sans attendre une quelconque réponse. Merci, Hiro-chan. Je n’aurais pas été capable de t’expliquer. C’est tellement ridicule que tu te serais moqué, même si tu prétendrais le contraire. En entendant une brève mélodie émerger de la guitare, je grimace. Même lui arrive à en jouer. Je suis vraiment un manche. Elle n’était pas branchée alors que c’est une guitare électrique. Papa me l’a offerte l’année dernière. Une ESP Potbelly couleur crème avec des flammes pailletées dorées. Elle a dû lui coûter un bras alors depuis, je tente d’apprendre à en jouer, mais c’est à s’en arracher les cheveux. M’approchant de lui, je passe une main dans mes cheveux d’un geste mécanique tandis qu’il se retourne, lève les bras et les laisse mollement retomber sur ses côtés.

« C'est officiel. Je suis le mec le plus déprimé d'Hosei. Je sais pas quoi faire à Tokyo une fois les cours terminés. C'est vraiment la loose. »

C’est inhabituel de voir mon petit mec déprimé comme ça. Seulement qu’il me dise qu’il ne sait pas quoi faire à Tokyo, c’est abusé. C’est la ville la plus animée du monde, il doit bien avoir quelque chose qui lui convienne. Il faut juste fouiller un peu. Sans un mot, je pousse légèrement ma guitare et m’assoit sur la table, agitant les pieds dans le vide.

« Pourtant il y a des tas de choses à faire ici. T’as essayé de visiter Harajuku de nuit ? C’est fabuleux. Et le bowling ? Le karaoké ? Mais bon ça faut y aller en bande, sinon tout seul c’est nul. Sinon… Le Laser Game ? C’est assez impressionnant ! Oh, t’as déjà assisté à un concert au Dome ? Ils disent qu’il peut contenir 55 000 personnes mais la dernière fois, on y était 60 000, c’était géant. Et le parc d’attraction… Y’a l’onsen à côté aussi, il me semble. Il est sympa, mais c’est toujours bondé en weekend. Oh et… Je suis sûre qu’il y a un truc que t’as jamais fait. Te promener dans le Kabukicho la nuit ? C’est flippant mais super ! Si tu veux, on ira un soir ! »

Je parle vraiment trop. S’il vous plait, du skotch, de la superglue même.

Quewa? J'ai dit quelque chose de mal? Quelque chose qu'il ne fallait pas? On a plus le droit de s'ennuyer ici maintenant ou je rêve... C'est quewa cette tête, Kondo-san? Je l'observe bouger la guitare silencieusement, prêt à me faire gronder. Je suis qu'un sale gosse de toutes façon.

- Pourtant il y a des tas de choses à faire ici. T’as essayé de visiter Harajuku de nuit ? C’est fabuleux. Et le bowling ? Le karaoké ? Mais bon ça faut y aller en bande, sinon tout seul c’est nul. Sinon… Le Laser Game ? C’est assez impressionnant ! Oh, t’as déjà assisté à un concert au Dome ? Ils disent qu’il peut contenir 55 000 personnes mais la dernière fois, on y était 60 000, c’était géant. Et le parc d’attraction… Y’a l’onsen à côté aussi, il me semble. Il est sympa, mais c’est toujours bondé en weekend. Oh et… Je suis sûre qu’il y a un truc que t’as jamais fait. Te promener dans le Kabukicho la nuit ? C’est flippant mais super ! Si tu veux, on ira un soir !

Bon. Je m'étais mal exprimé. Autant pour moi. De toutes façon, les filles ont toujours réponse à tout. Je fais la moue quelques instants suite à l'explication du guide touristique. Mon guide touristique personnel. Bien évidement, je suis un éternel insatisfaite, alors je me contente de retoucher aux cordes de la guitare une nouvelle fois que Maria viens de décaler, évitant bien évidement de la regarder. C'est vrai qu'il y a plein de choses à faire ici, mais je ne suis pas intéressé. J'ai honte de ne pas savoir m'occuper. Le bowling et le karaoké, c'est bien une fois. A la longue, c'est épuisant. Pareil pour le Laser Game. A vrai dire je connaissais Tokyo, un petit peu. Quand je venais voir mon père le Weekend... J'avais très peu visité, passant le plus clair de mon temps avec Daddy qui râlait quand je faisais le pitre devant l'écran à danser et chanter. C'était le bon vieux temps. Je ne sais pas. Peut-être que, ce qu'il me manque, c'est ma famille prêt de moi. Ma mère qui était encore à Okinawa... Toute cette nostalgie me déprime encore plus. Nerveusement, je me colle une petite gifle afin de me réveiller. J'ai l'air idiot sur le moment, il faut l'avouer, mais une humeur qui se dégrade n'a pas besoin d'atteindre Ma-chan.
Je tourne enfin ma tête vers Kondo-san Une vague idée viens tout juste d'envahir mon esprit alors que je passais en boucle son explication sur Tokyo et ses environs. Elle avait de prononcer le mot " Flippant". Les yeux écarquillés, voilà que cette idée révolutionnaire permet à mon sourire rayonnant de revenir sur mes lèvres. Je n'arrive pas à me souvenir du nom de l'endroit auquel je pense, alors je reste bien une bonne dizaine de seconde les lèvres entrouverte, souriant, sans qu'un seul mot ne sorte. Je dois vraiment avoir l'air... Bizarre.

- Ne... Y'a pas un restaurant tordu à Tokyo, qui fait peur ? On pourra y aller ensemble? Enfin, si tu veux quoi.

Oui si elle veut. Après tout je ne suis pas le centre du monde, elle doit probablement avoir plein d'autres amis qui veulent la voir. D'un côté, Kondo-san n'est pas le genre de personne qu'on regrette d'avoir dans son entourage... Même si elle ignore vos mails, elle a toujours une bonne raison de le faire, ou du moins j'espère. Elle avait eu, jusque là, toujours une bonne raison pour se pencher à un balcon et me faire croire qu'elle allait se suicider, du coup, je me m’efforçais de croire qu'elle avait une bonne raison de m'ignorer. Ma compagnie était-elle si désagréable que ça ? Bonne question. Ca allait me hanter pendant un bon moment, mais bon, mieux valait ne pas aborder le sujet maintenant. Finalement, après un petit moment ou j'étais muet comme une carpe, j'attrape la guitare de Maria et commence l'intro de Bob Marley – Redemption Song. Lorsque viens la partie des accords, je fais taire les cordes et puis, tout naturellement, voilà qu'une idée de discussion me viens à l'esprit ;

- Oyh, Ma~ Toujours pas de petit homme qui te chante la sérénade ?

Je recommence à jouer de la guitare. Cette fois, c'est I'm Yours de Jason Mraz. Musique très approprié au thème de la discussion. Bon certes je n'étais pas un prodige en guitare mais j'arrivais à me débrouiller. Après une vingtaine de seconde, je m'arrête. Ahwé, c'est vrai que c'était comme si je chantais la sérénade sur le moment. Je laisse échapper un petit rire avant de reprendre amusé sur une petite anecdote ;

- Je devais emmener une petite espagnol boire un café mais j'ai plus de nouvelles. Elle a dût avoir peur !

C'est vrai qu'en y repensant, je n'avais pas eu de nouvelles. Alors, je reprend mon air là ou je m'étais arrêté, concentré sur les notes que je doit faire sortir.